ICODOC 2024 > Appel à communication

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Si le langage peut exercer du pouvoir, le pouvoir peut réciproquement se manifester à travers les pratiques langagières. C’est entre autres sous l’angle institutionnel qu’a été abordée la problématique d’un « ordre du discours » (Foucault, 1971). À partir des effets de la performativité du langage (Austin, 1962 ; Butler, 2004 [1997]  ; Boutet, 2010), de la valeur symbolique qui lui est attribuée (Bourdieu, 2001) ou encore à travers les schèmes de domination véhiculés par la langue, la recherche a montré que le pouvoir n’est pas une caractéristique inhérente des individus mais qu’il est lié aux situations de communication qui l’impliquent, notamment dans l’institution. La légitimité des pratiques langagières, loin d’être naturelle, est construite par des normes et rituels sociaux (Goffman, 1974) qui n'effacent pas pour autant l’agentivité des individus (Ahearn, 2001). 

Ces quelques réflexions suscitent les questions suivantes :

  • Qui exerce le pouvoir et comment ? 
  • De quelle(s) manière(s) le pouvoir se transmet-il par le langage ?
  • Comment est construite et reproduite la langue légitime ? 

Ces relations entre langage et pouvoir pourront être abordées de manières diverses au sein des axes suivants.

Axe 1 : Agir sur le langage, exprimer le pouvoir

La première forme de pouvoir dont témoigne une langue sont les règles et les normes qui en régissent le fonctionnement. S’interroger sur la normativité d’une ou des langue(s) revient à s'intéresser en premier lieu aux institutions qui établissent ces normes. L’étude des politiques linguistiques a permis de comprendre comment ces aménagements régissent « la modernisation (du lexique, du système graphique), la défense ou l’expansion d’une langue, les rapports entre langues, le développement, la volonté d’unifier linguistiquement un pays » (Calvet, 2021). Par ailleurs, la notion de glottopolitique (Guespin et Marcellesi, 1986) a permis de mettre en relief les actions d’actrices et d’acteurs séparés de l'État et de ses institutions. Par exemple, le fait que les pratiques individuelles et collectives d’écriture inclusive aient pris une ampleur suffisante pour que le ministère de l’Intérieur français l’interdise dans la fonction publique (circulaire du 21-11-17 n°5189/SG), montre qu’il existe différentes échelles d’action sur la langue qui interagissent. Ces actions de pouvoir peuvent également s’exprimer à un grain d’analyse plus fin, notamment par l’utilisation de modalisateurs (Gosselin, 2010), d’expressions issues du champ lexical de la domination ou de la capacité, et dans les discours politiques (Keel et Mondada, 2017).

Cet axe se propose d'explorer les questions suivantes :

  • Comment les normes d’une langue se construisent-elles ? Par quels supports, institutions, dans le temps, par quels acteurs et quelles actrices ?
  • Comment le pouvoir est-il thématisé ou représenté dans et par la langue et les discours ?
  • Quel sens peut-on donner aux emplois du verbe « pouvoir » ? Quel rôle jouent les modalisateurs ?

Axe 2 : Agir par le langage, faire exister

La dénomination est une autre forme de pouvoir de la langue. Établissant la relation référentielle plus exigeante que celle de la désignation, elle instaure un lien préalable entre un signe et une entité dans le monde réel (Kleiber, 1984). L’acte de dénommer établit une fixation référentielle et de là peut faire exister dans l’espace social. En lien avec un acte culturel, cela peut donner lieu à des interprétations axiologiques sélectives (cf. les évaluations subjectives attribuées à une langue en fonction de la richesse/pauvreté de son lexique). Pour faire exister, on peut avoir recours aux emprunts ou aux néologismes. Ceci reflète l’acte social de la langue qui répond à un besoin de communication (Vendryes, 1968 [1921]). Or, ce sont les rapports de pouvoir entre les groupes sociaux qui déterminent si (et comment) une nouvelle terminologie sera acceptée et utilisée au fil du temps.

La notion d’agentivité est pertinente à ce sujet car elle relève de l’action, de la capacité d’agir via un savoir socioculturel et un certain contrôle sur son propre comportement (Duranti, 2004). Elle sert à expliquer les tensions d’identité et la résistance contre le pouvoir qui se manifestent dans divers contextes, tels que : i) création de langues de banlieues, d’argots comme une affirmation collective, ii) marqueur d’identité et d'appartenance à certaines catégories sociales (Wiese, 2015) ; ou encore iii) création ou innovation dans le langage à partir de besoins esthétiques et/ou émancipateurs (réappropriation des termes, écriture inclusive) (Duranti, 2011). Si l’on envisage le pouvoir performatif de la langue, un langage totalitaire, excluant toute pensée autre, peut être considéré comme un acte de coercition. Affronter ce(s) langage(s) du pouvoir tout en le(s) manipulant peut ainsi créer des identités de groupes, étant en soi un acte de résistance (Scott, 2009) ou l’expression d’un conformisme.

Cet axe se propose d’explorer les questions suivantes : 

  • Qui peut faire entrer une nouvelle dénomination dans la langue et par quels moyens / enjeux de pouvoir ?
  • Comment les langues reflètent-elles le pouvoir sous-jacent ?
  • Comment et par quels moyens peut-on agir contre le pouvoir par le langage ?

Axe 3 : Asymétries de pouvoir

Les rapports de pouvoir sont constamment négociés dans les interactions et les asymétries qui en découlent sont observables à l’échelle séquentielle comme au niveau de l’énonciation. Ceci est lié non seulement aux statuts différents des participant·es mais aussi à leur orientation commune vers l’objectif de l’interaction (Mondada & Keel, 2017). L’asymétrie dans l’interaction n’est donc pas fixe, mais peut être équilibrée par les participants de différentes manières. Aussi, dans une perspective psychologique, les interactant·es portent des représentations, leur propre vision du monde (Koltko-Rivera, 2004), leur type de personnalité, ce qui joue sur les rapports de pouvoir (p. ex. via le sentiment d’efficacité personnelle) et influe sur l’emploi du langage. On va notamment retrouver différents marqueurs énonciatifs selon la position hiérarchique du locuteur, et des stratégies pour atténuer, maintenir ou renforcer la hiérarchie (comme des marqueurs de politesse ou du jargon).

À l’inverse, si les contextes sociaux ont un impact sur le langage, le langage joue un rôle important dans le bien-être et la place d'une personne dans la société (Baldo et al. 2015 ; St Clair et al, 2011). Il est en effet essentiel pour l'expression de la pensée et la socialisation, ce qui est particulièrement handicapant pour les personnes souffrant de troubles du langage, telles que l'aphasie et la dyslexie, ainsi que pour les personnes allophones qui doivent trouver des moyens alternatifs pour communiquer (Piccoli & Traverso, 2020).

Cet axe se propose d’explorer les questions suivantes :

  • Comment l'asymétrie est-elle négociée dans l’interaction ?
  • Quels effets une maîtrise lacunaire de la langue peut-elle entraîner pour les personnes qui la subissent, et quels phénomènes en émergent ?
  • Quelles stratégies existe-t-il pour pallier un manque de pouvoir ou un déficit linguistique ? 

Axe 4 : Transmission du pouvoir par le langage

Le langage n'est pas seulement un outil d'exercice du pouvoir, il peut également en être un vecteur. Éléments de langages et coups rhétoriques relayés par les médias permettent de normaliser la vision du monde des classes dirigeantes jusqu'à influencer la perception de la réalité des populations (Samuels & Comor, 2011). Les effets de cette transmission, volontaire ou non, sont sensibles à des échelles de tailles très variables. Elle peut ainsi contribuer à perpétuer une conception déséquilibrée des rôles de genre, jusque dans des situations paradoxales (Taylor et Ochs, 1992).  

L'enseignement d'un langage est également une manière de conférer un pouvoir. Cela est particulièrement visible en situation de diglossie (Fishman, 1967) où il existe des dynamiques de pouvoir entre les groupes utilisant préférentiellement chacune des langues en présence, pouvant même aboutir au remplacement d'une langue progressivement dépréciée par une nouvelle associée à la partie la plus puissante de la population (Kulick, 1992). Là encore, ces mécanismes se retrouvent à une échelle plus réduite, comme celle de la compétence langagière individuelle. Des corpus recueillis dans des centres d'appel démontrent ainsi que les apprenant·es participent à reproduire une idéologie et des accents (Cayla et Bhatnagar, 2015) dont la maîtrise peut affecter les chances de recrutement (Roy, 2003), et donc, d'accès à un revenu qui, à son tour, influe sur le statut des locuteur·rices dans leur communauté linguistique. 

Cet axe se propose d’explorer les questions suivantes : 

  • Quel(s) pouvoir(s) la langue peut-elle véhiculer ?
  • Par quel moyen le pouvoir se transmet-il au travers du langage ?
  • Quelles traces les relations de pouvoir laissent-elles dans les productions langagières, par exemple en interaction ?

Axe 5 : Savoir e(s)t pouvoir

Le milieu académique n’est pas non plus exempt d’inégalités structurelles liées à la visibilité différenciée des chercheuses et chercheurs dits des « Nords » et celles et ceux dits des « Suds ». D’un côté, le courant décolonial a mis au jour la « colonialité du langage » (Veronelli, 2015) structurant le champ des sciences humaines et sociales. D’un autre côté, la sociolinguistique critique s’est attelée à montrer combien les ressources langagières sont inégalement réparties dans le contexte du capitalisme tardif (Duchêne & Heller, 2012), perpétuant et reproduisant ainsi des inégalités scolaires et universitaires (Martín Rojo, 2021). 

La réflexivité scientifique amène à s'interroger sur la recherche linguistique et son application. Par exemple, les avancées en TAL, bien qu’ayant pu enrichir la recherche de nouvelles applications, ont aussi offert un pouvoir nouveau à des acteurs privés comme publiques potentiellement problématiques (renforcement des biais, diffusion de fausses informations… ). De façon plus générale, la linguistique dans son ensemble par la production de discours sur le langage, peut renforcer ou briser des stéréotypes, aider ou blesser des minorités (Pauwels, 2003). De fait, il faut se poser la question des effets de la linguistique sur le monde et du rôle qu’elle a à jouer (Combs & Penfield, 2012).

Cet axe se propose d’explorer les questions suivantes : 

  • Quels rapports de pouvoirs existe-t-il entre chercheur·euses ou entre chercheur·euses et participant·es aux enquêtes ? 
  • Comment la recherche en linguistique peut-elle contribuer à l’amélioration des conditions sociales ? Comment garantir que cette dernière soit menée de façon éthique et non discriminatoire ?

Références

Ahearn, L. M. (2001). Language and agency. Annual review of anthropology, 30(1), 109-137.

Austin, J. C. (1962). How to do things with words. New York: OUP.

Baldo, J. V., Paulraj, S. R., Curran, B. C., & Dronkers, N. F. (2015). Impaired reasoning and problem-solving in individuals with language impairment due to aphasia or language delay. Frontiers in Psychology, 6, 1523.

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Boutet, J. (2010). Le pouvoir des mots, Paris, La Dispute.

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